Lettre de Théophile à son frère

Théophile de Viau (1590-1626)

D’origines clairacaises, le poète Théophile de Viau fut un astre noir de la littérature française. Issu d’une famille protestante, proche des puissants, parfois du roi lui-même, il fut également pourchassé par les bigots. Obligé de fuir en Angleterre en 1619, il se voit pourtant chargé d’une mission secrète par le jeune roi Louis XIII lors du siège de Clairac en 1621 ; siège où – assiégeant – il se trouve confronté à son frère Paul, capitaine huguenot – assiégé. Un an plus tard, dénoncé par les jésuites à la suite de la parution du Parnasse satyrique, il est condamné à être brûlé vif ; arrêté alors qu’il tente de fuir la France, il est emprisonné près de deux ans au Châtelet. C’est là qu’il écrit – entre autres – la bouleversante lettre à son frère, long poème composé de 33 dizains en décasyllabes.

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Début du poème « Lettre de Théophile à son frère. »
Début du poème « Lettre de Théophile à son frère. »
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Théophile de Viau.
Théophile de Viau.
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« Cette lettre, célèbre à juste titre pour les strophes où le poète évoque avec nostalgie la nature merveilleuse de son enfance et son adolescence, s’inspire, en réalité, non seulement de ce thème, mais aussi de celui de l’affection fraternelle qu’il ressent profondément au moment de sa disgrâce et d’un sentiment de rancœur contre ceux qui, par leurs manœuvres, l’ont fait précipiter dans la condition misérable où il se trouve actuellement. On peut même dire que, quantitativement, la partie principale de cette Lettre a toutes les caractéristiques du pamphlet : le sentiment de colère et de haine contre les jésuites, ses persécuteurs implacables, atteint des accents d’une violence telle qu’on n’en trouve l’équivalent dans aucun autre de ses textes. » (Théophile de Viau pamphlétaire, communication de Guido Saba au XXXVe congrès de l’Association internationale des études françaises, 1984).
Retrouvons les 4 dizains où il évoque la terre du confluent et ses richesses, dont les saveurs continuent de nous enivrer…


S’il plaît à la bonté des cieux
Encore une fois à ma vie
Je paîtrai ma dent et mes yeux
Du rouge éclat de la pavie ;
Encore ce brugnon muscat
Dont le pourpre est plus délicat
Que le teint uni de Caliste,
Me fera d’un œil ménager
Étudier dessus la piste
Qui me l’est venu ravager.

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Je cueillerai ces abricots,
Les fraises à couleur de flammes
Où nos bergers font des écots
Qui seraient ici bons aux dames,
Et ces figues et ces melons
Dont la bouche des aquilons
N’a jamais su baiser l’écorce,
Et ces jaunes muscats si chers
Que jamais la grêle ne force
Dans l’asile de nos rochers.

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Je verrai sur nos grenadiers
Leurs rouges pommes entrouvertes,
Où le ciel comme à ses lauriers
Garde toujours des feuilles vertes ;
Je verrai ce touffu jasmin
Qui fait ombre à tout le chemin
D’une assez spacieuse allée,
Et la parfume d’une fleur
Qui conserve dans la gelée
Son odorat et sa couleur.

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Je reverrai fleurir nos prés,
Je leur verrai couper les herbes ;
Je verrai quelque temps après
Le paysan couché sur les gerbes ;
Et comme ce climat divin
Nous est très libéral de vin,
Après avoir rempli la grange
Je verrai du matin au soir
Comme les flots de la vendange
Écumeront dans le pressoir.
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