Les ombres indiquent que nous sommes le matin. Les treilles s’épanouissent sur les façades, et sur la droite, les cercles métalliques rappellent une tradition de Clairac où les tonneliers étaient établis dans le quartier de Maubourguet depuis toujours ; peut-être plus tôt même. Dans ses recherches, Claude Martin avait retrouvé des documents très anciens les concernant, comme ce bail dressé en mars 1618 par le notaire Caussines : « Me Jacques de Vergnes, à David Bachan, pour faire des barriques d’un millier de merrains payés 9 sous par barrique, pour les vendanges prochaines. » Les merrains sont les planches qui constituent la barrique. À cette époque, celles-ci servaient autant pour le vin que pour le tabac. Lorsqu’en 1699 fut dressé le recensement des Nouveaux convertis, on comptait 23 tonneliers dont 9 à Maubourguet et 6 à Longueville, Quelques-uns firent partie des « grandes familles » de Clairac, comme les Martineau déjà établis à Maubourguet au XVIIe siècle ; ce sont eux qui firent construire Le Perron, preuve de leur réussite sociale et financière.
Mais c’est d’un autre commerce qu’il est aussi question ici : le pan coupé de la maison de gauche dévoile à qui sait voir la façade d’une boucherie. La grille peinte en rouge, le rideau protecteur : il s’agissait de la boucherie où s’établit plus tard Moureu. Une photographie des années 1900 nous montre le boucher et sa famille (même la petite fille et sa poupée !) posant fièrement à côté d’une belle carcasse suspendue à sa potence. Fierté professionnelle que l’on voit aussi à la boucherie Cazenille, place Serres, qui conservait encore ses grilles il y a quelques années, lorsqu’elle était tenue par M. Galan ainsi qu'à la boucherie Lacombe de la rue Gambetta.
C’est par son mariage que le champenois Alexandre Canelle de Lalobbe (1848-1919) est arrivé à Clairac, où il acheta en 1909 la propriété du Sinange. Ancien officier, il avait quitté l’armée à la suite de ses blessures lors de la fameuse bataille de Woerth en 1870. Jeune, il avait suivi les cours du peintre Cals, époux de l’une de ses cousines. À partir de 1881, il exposa régulièrement au Salon des artistes français, à Paris. Peintre de la nature, il se déplaçait avec son chevalet mais travaillait aussi à partir des nombreuses photographies qu’il faisait. À Clairac, il trouva une lumière qu’il avait sans doute cherché toute sa vie, dans la lignée du travail des impressionnistes deux décennies plus tôt : au fil de ses tableaux, il joue avec le ciel étincelant de la vallée du Lot, les rouges des tuiles et des volets, les verts des treilles mais aussi des cyprès, les teintes pastel des roses trémières qui étaient l’un de ses motifs favoris. À la veille de sa mort, en janvier 1919, il peignait encore les effets de la lumière sur la neige au Sinange.